Le surplus du consommateur

C’est un collègue qui l’a écrit : avec ce nouveau programme  (le programme de 2018) on fait vraiment de l’économie, de la dure, scientifique. Par exemple, on aborde le surplus du consommateur et ça c’est vraiment la base. Le surplus du consommateur, un petit nouveau qui s’est discrètement glissé dans les programmes de SES en 2010 et qui, depuis, semble occuper une place majeure. En tout cas on le retrouve dans les nouveaux programmes de 2018 avec les indications « Comprendre les notions de surplus du producteur et du consommateur » et « Comprendre la notion de gains à l’échange et savoir que la somme des surplus est maximisée à l’équilibre ».

Mais qui est-il donc ce surplus du consommateur ? Comme il n’y en avait pas trace dans les programmes antérieurs de SES, j’ai fait une rapide recherche dans quelques manuels et dictionnaires dits incontournables. Pas de trace dans le Samuelson édition 1972 ni dans le Lipsey-Steiner de 1975. Mais ça ne prouve rien ; il est vrai que je ne possède pas beaucoup de ces manuels macros mainstream incontournables. En revanche, on le trouve fréquemment dans les divers manuels et dictionnaires dirigés par un collègue qui est également très impliqué, directement ou indirectement,  dans la constitution des programmes. Mais il est surtout bien présent dans le Mankiw 1998 (« Les principes de l’économie »), en tout cas présent dans le lexique où on  le définit ainsi : « Différence entre le prix maximum qu’un consommateur est disposé à payer pour acheter un bien et le prix effectif de ce dernier ». Le Mankiw est reconnu dans le genre mainstream donc on peut s’appuyer dessus (et même bien s’appuyer, il tiendra, c’est un gros volume d’environ six-cent pages).  Ca va même bien servir pour entrer à science po (institut des études politiques) puisque les candidats de 2016 ont été interrogés sur ce thème. Plus exactement on leur a demandé de « représenter graphiquement les gains à l’échange et expliquer la notion de surplus ainsi que son partage  entre acheteurs et vendeurs » et le corrigé indique qu’il faut présenter le surplus du consommateur. On va donc se polariser sur celui-ci. Commençons par traduire la définition du Mankiw . Pour ce que j’ai compris de cette définition, ça veut dire que si un produit est vendu 10 Euros, celui qui avait tellement envie de l’avoir qu’il était prêt  à mettre plus de 10 euros (mettons 15 euros) était drôlement content puisqu’il fait une économie virtuelle de 5 euros (c’est ça son « surplus de consommateur »). En plus il fallait faire une représentation graphique, aussi j’imaginais bien un truc comme ça :

C’est bien une représentation et c’est bien graphique et on voit bien que le gars il est content parcequ’il paie 5 euros de moins que prévu.

Ceci dit comme on peut imaginer qu’il ya plein d’acheteurs (prêt à payer 15, 20 ou 25 euros ou plus encore) et plein de vendeurs, ca devrait donner ça :

Je pensais qu’avec ces représentations graphiques j’aurais pu obtenir les six points de l’épreuve de Sciences Pos. Mais non ! Parce qu’en fait il fallait dessiner ça :

Au point X on a la différence entre A et B  qui représente le surplus de monsieur X (mais c’est con parceque sur ce dessin on ne voit pas qu’il est content) et la surface grisée représente le surplus global du consommateur c’est à dire le gain de tous les consommateurs qui ont payé moins que ce qu’ils étaient prêts à payer.

On pourrait faire aussi le surplus du producteur. Là c’est la joie du mec qui se rend compte qu’il peut vendre plus cher que ce qu’il était prêt à faire.

En clair, le surplus du consommateur permet de montrer combien est content le type qui peut payer moins cher que ce qu’il était prêt à faire (c’est important, c’est exactement ce qu’il se passe quand la note du garagiste est moins salée que je ne le craignais) et le surplus du producteur c’est celui du gars qui peut vendre plus cher qu’il ne l’espérait. Je sais, je sais, mes explications font un peu neuneu mais elles ne le sont pas plus que le corrigé officiel de l’épreuve de science po : « En effet, on peut observer (voir graphique) qu’une partie de la demande était disposée à acheter ce même bien ou service à un prix supérieur à celui du marché. Elle ressent donc une utilité supplémentaire lors de cet échange à un prix inférieur. On appelle cette utilité le surplus du consommateur et on le mesure graphiquement par l’aire du triangle sous la courbe de la demande qui s’étend jusqu’au prix d’équilibre. Nous pourrions illustrer cette situation par le cas d’un enfant qui, disposant de dix euros pour acheter un CD, découvre que ce dernier peut s’acquérir pour seulement cinq euros ». Comme quoi j’ai beau jouer à l’imbécile quand j’écris, je ne dépasse pas l’original. Ce dernier est même imbattable car pour illustrer le surplus du producteur il écrit : « Nous pourrions illustrer cette situation par l’exemple d’une entreprise qui, au vu du très bas prix du pétrole, serait disposée à vendre l’intégralité de sa gamme de produits contenant du plastique à un prix moindre ».

Donc le prix d’équilibre fait que les consommateurs et les producteurs (ou plutôt les demandeurs et les offreurs) seront contents car ils auront chacun un surplus. Mais ils ne vont pas être contents pareil car ils devront se partager ce surplus. Moi j’aurais bien vu ça comme ça (merci monsieur Uderzo)

Et bien non ! Ca donne plutôt ça

Vous remarquerez que la surface des producteurs et la surface des consommateurs sont les mêmes. Ce qui montre combien le partage est équitable. En gros, on est dans l’économie des télétubbies.

Ceci dit, ça dépend de la pente des droites. Par exemple :

Dans ce cas, le surplus du consommateur est tout rikiki. Ca devient déjà un peu plus intéressant d’un point de vue analytique (c’est quoi ce type de bien qui ne rend pas plus heureux les consommateurs ?) mais ça laisse des doutes quant à cette idée selon laquelle le prix de marché ne ferait que des heureux.  Car s’il y a des types qui sont contents, il y en a peut être aussi des qui sont malheureux parcequ’ils devraient payer plus que ce qu’ils étaient prêts à faire.  Je ne sais pas comment on pourrait appeler cette situation. Le contraire de « surplus » c’est quoi ? Mettons alors qu’on oppose ça à  « bonne surprise », et qu’on l’appelle « dépit », ça donnerait le « dépit du consommateur ». Graphiquement, ça devrait donner ça.

Ah non ! Pardon ! Je veux rentrer à sciences pos. Alors monsieur Y (qui est déçu), je le mets à droite de l’intersection des deux courbes et la surface grisée représente tous ceux qui sont déçus.

Mais comment je la calcule cette surface ? Faut-il que j’aille jusqu’à l’axe des abscisses c’est à dire jusqu’au consommateur qui ne serait content que si le produit est gratuit ? Et qui sont ces consommateurs ? Il y en sûrement qui sont des « pourris gâtés » qui veulent tout pour rien et il est normal qu’on ne s’en occupe pas. Mais il y en a peut-être aussi qui ne peuvent pas mettre plus pour un produit qui leur est important ou qui est vraiment indispensable. Reprenons le graphique proposé dans le corrigé de sciences pos et imaginons qu’il s’agisse du marché du pain. Aïe !!

Figure « dépit du consommateur dans un marché en tension » (merci Mr Gotlib)

Bon je m’arrête là mais il faudrait encore que je vous parle des gains à l’échange et de la « perte sèche ».

En résumé, quand on fait de la science on peut démontrer graphiquement qu’un mec est content quand il paie moins que ce qu’il était prêt à faire ou qu’il reçoit plus que ce qu’il s’attendait à avoir (mais faut pas se gourer de représentation graphique), que la satisfaction est maximale quand les prix sont à l’équilibre mais ils ne le sont que dans des conditions bien improbables. Le corrigé de l’épreuve de sciences pos ne le cache pas vraiment : « Après un processus de tâtonnement, on obtient dès lors le prix et la quantité d’équilibre auxquels tous les biens et services seront échangés. Par définition, ce prix est celui qui maximise les gains à l’échange des offreurs et des demandeurs, la satisfaction que les agents retirent de l’échange marchand ». Par définition… !

Enfin il faut tracer les droites bien comme il faut pour bien suggérer que tout le monde gagne la même chose. Et oui ! C’est ça la science ! En tout cas la science économique qu’on devra bientôt enseigner dans les lycées.

La prochaine fois (si j’en ai le courage !) je vous démontrerai scientifiquement que les coûts de production augmentent parcequ’on ne peut pas pousser les murs !