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PAROLE, REJET ET EXCLUSION

Des étudiants m’ont demandé de travailler sur le thème « Paroles, déviances et stigmatisation ». J’ai donc concocté ce dossier portant sur trois cas : la « glottophobie », le bégaiement et la « mutisurdité » (à noter qu’il n’existe pas de substantif pour dire « être muet » mis à part « mutité »).  J’ai intégré dans ces dossiers un certain nombre de concepts utilisés en sociologie et en psychosociologie mais j’ai essayé de les introduire progressivement dans les trois dossiers. Ce sont les concepts de  handicap, stigmatisation, stigmatisation (et handicap) invisible, effet pygmalion, stéréotype, menace du stéréotype, itinéraire moral, identité sociale, communauté, culture, mouvement social. Le premier dossier sur la glottophobie permet de mettre en avant la notion d’exclusion et de stéréotypie. Le deuxième dossier sur le bégaiement insiste sur la notion de handicap, de stigmatisation et sur l’idée de « menace du stéréotype ».  Le troisième dossier permet de montrer que la surdité n’est pas nécessairement vécue comme un handicap mais, au contraire, comme le fondement d’une culture et d’une communauté. Les dossiers sont destinés à des post-bacs et sont épais mais il ya des exemples à prendre pour les lycéens. Mes connaissances dans ces divers domaines sont purement livresques.

(On peut lire le dossier ci-dessous ou en Word, ici : Handicap et parole globalHandicap et parole global (330 Ko)

 

PARTIE I : GLOTTOPHOBIE, STIGMATISATION ET REJET

  • STIGMATISATION ET STEREOTYPIE

Document 1

A l’origine, le terme grec “stigmate” désignait les marques au fer et au couteau qui étaient infligées aux personnes qui allaient à l’encontre des règles de bonne vie et mœurs de la cité. Cette marque corporelle avait pour objet de rendre visible la dimension amorale de celui qui la portait et vis-à-vis duquel il était recommandé de se méfier. De nos jours, le concept de stigmate s’est généralisé et renvoie à « tout attribut qui jette un discrédit profond sur celui qui le porte » (Goffman, 1963, p. 13).

Plus récemment, Croizet & Leyens (2003) ont défini le stigmate comme « une caractéristique associée à des traits et stéréotypes négatifs qui font en sorte que ses possesseurs subiront une perte de statut et seront discriminés au point de faire partie d’un groupe particulier ; il y aura « eux », qui ont une mauvaise réputation, et « nous » les normaux » (p. 14). De ces définitions, quatre éléments apparaissent importants pour définir la stigmatisation à savoir : la possession d’un attribut négatif, l’existence de stéréotypes négatifs à l’encontre du groupe, l’expérience du rejet et de la discrimination et le fait que l’identité sociale du groupe soit négative (Bourguignon et Herman, 2007). (…)Un stigmate renvoie donc à des attributs allant à l’encontre des attentes normatives du groupe (Link et Phelan, 2001). De ce fait, un attribut n’est pas stigmatisant en soi, par une quelconque essence stigmatisante, mais est le produit d’une culture, d’une société. (Bourguignon, D., & Demoulin, S. (2011). Bégaiement et stigma social. In. B. Piérard (Ed). Les bégaiements de l'adulte. Mardaga, Wavre)

Document 2

 Le fait de disposer d’un attribut stigmatisant et d’être l’objet de stéréotypes négatifs conduit les membres des groupes stigmatisés à être la cible de préjugés et à faire l’expérience du rejet et de discriminations (Goffman, 1963 ; Jones, Farina, Hastorf, Markus, Miller et Scott, 1984). On entend par préjugés les attitudes négatives existant envers les membres d’un groupe et qui reposent sur une généralisation erronée et rigide (Bourhis, Gagnon et Moïse, 1994). Quant à la discrimination, elle renvoie aux comportements négatifs émis vis-à-vis d’un individu membre d’un groupe envers lequel on entretient des préjugés (Dovidio et Gaertner,  1986). Le rejet et la discrimination renvoient donc aux composantes comportementales du préjugé attitudinal. (Bourguignon, D., & Demoulin, S. (2011). Bégaiement et stigma social. In. B. Piérard (Ed). Les bégaiements de l'adulte. Mardaga, Wavre)

 

Document 3

Il existe de nombreux groupes stigmatisés. Parmi ceux-ci, Goffman a tenté de dégager trois types de stigmates : les stigmates tribaux, les stigmates liés aux abominations du corps et les stigmates liés à la personnalité (Goffman, 1963). (…).(…). Jones et collègues (1984) ont ainsi mis en évidence 6 dimensions :

- «masqué», se réfère à la mesure dans laquelle une condition stigmatisante puisse être cachée ;

- «court», se réfère à la mesure dans laquelle la condition est susceptible de varier à travers le temps ou dans ses conséquences futures ;

- «dérangeant», se réfère à la mesure dans laquelle la condition stigmatisante entrave les interactions sociales ;

- «qualité esthétique», se réfère à la manière dont l’attribut rend l’individu laid, repoussant ;

- «origine», se réfère au caractère acquis ou non de l’attribut stigmatisant ainsi qu’à la responsabilité portée par l’individu de son stigmate ;

- «périlleux», se réfère au degré de dangerosité que la condition stigmatisante pose pour les autres individus ;

(Bourguignon, D., & Demoulin, S. (2011). Bégaiement et stigma social. In. B. Piérard (Ed). Les bégaiements de l'adulte. Mardaga, Wavre)

  • LA GLOTTOPHOBIE

Document 4

Vous utilisez ce drôle de mot : «glottophobie», que veut-il dire exactement ?

C’est un terme que j’ai inventé au milieu des années 90, car je n’étais pas satisfait de l’expression «discrimination linguistique», peu utilisée d’ailleurs, car la plupart des personnes n’ont pas conscience qu’il s’agit d’une discrimination. Le terme glottophobie permet d’intégrer justement cette dimension sociale. Je le définis comme le fait d’exclure des personnes de l’accès à des droits ou à des ressources comme la vie publique, l’éducation, l’emploi, le logement, les soins, etc. parce qu’on considère incorrectes, inférieures ou mauvaises et de façon arbitraire des langues, des usages d’une langue ou des façons de parler, sans toujours avoir pleinement conscience de l’ampleur des effets produits sur ces personnes.

(Marie Piquemal « Philippe Blanchet : «Rejeter un accent, c’est toucher à l’identité de l’être» — 24 avril 2016)

 

Document 5

Qu’est-ce que la glottophobie ? Le sociolinguiste et professeur à l’université de Rennes 2, Philippe Blanchet, a forgé ce mot pour désigner les discriminations linguistiques de toutes sortes et qu’il définit ainsi : « le mépris, la haine, l’agression, le rejet, l’exclusion, de personnes, discrimination négative effectivement ou prétendument fondés sur le fait de considérer incorrectes, inférieures, mauvaises certaines formes linguistiques (perçues comme des langues, des dialectes ou des usages de langue) usitées par ces personnes, en général en focalisant sur les formes linguistiques (et sans toujours avoir pleinement conscience de l’ampleur des effets produits sur les personnes) ». Ainsi, qualifier une langue de « langue des barbares » comme on a pu l’entendre ou le lire souvent ces derniers mois, sous-titrer dans une vidéo un locuteur africain qui s’exprime pourtant dans un français très clair (voir le Petit journal « spécial Burkina Faso » du 21 septembre 2015 sur CANAL +), prononcer de travers et de façon intentionnelle le prénom d’un enfant d’origine étrangère : tous ces exemples sont les manifestations de discriminations plus ou moins transparentes et d’autant plus pernicieuses qu’elles ne sont pas forcément perçues comme telles. Mais, comme le recto d’une feuille de papier est inséparable de son verso, l’autre face de la glottophobie est la glottomanie qui consiste à parer une langue (ou plusieurs) de toutes les qualités (clarté, beauté, précision, etc.) comme autant de mirages qui finissent par créer son « prestige » (rappelons que le prestige est une illusion dans le vocabulaire de la prestidigitation). (Propos recueillis par Nicolas Ragonneau, janvier 2016. Discriminations : contre la glottophobie, Editions Textuel,)

 

Document 6

Une discrimination sans le savoir ?

Oui, exactement. L’idéologie sur la langue est si forte dans notre pays que les gens ne s’en rendent même pas compte. C’est une discrimination qui n’est pas reconnue par la loi, donc pas passible de sanctions. D’ailleurs, les employeurs le disent ouvertement, «votre candidature n’est pas retenue, votre façon de vous exprimer ne convient pas pour le poste». C’est surtout vrai dans les métiers de la parole, de la communication, forcément. Il y a une gradation dans la discrimination : en haut de l’échelle, je mettrai l’accent du Midi. C’est celui qui pénalise le moins car on lui attribue des «bons côtés» : c’est l’accent du soleil, l’accent des vacances. Ensuite, vous avez l’accent breton, alsacien, chti… Et tout en bas, l’accent des banlieues : le plus discriminant. (…) La souffrance est aiguë car vous touchez à l’identité de la personne. Une langue, quelle qu’elle soit, c’est un marqueur d’identité. C’est d’ailleurs pour cette raison que les ados se créent des mots qu’ils utilisent entre eux, cela fait partie du processus de construction. (…) Je ne connais aucun autre pays où la norme de la langue est aussi pesante sur la population, si ce n’est peut-être la Turquie (…) En France, on considère les différences dans les manières de parler comme des déviances, comme autant d’obstacles à la vie commune. Mais cela relève du mythe. (Marie Piquemal « Philippe Blanchet : «Rejeter un accent, c’est toucher à l’identité de l’être» — 24 avril 2016)

 

Document 7

Pourquoi ce penchant à la glottophobie ? D’où cela vient-il ?

L’explication est politique. Le français est une langue semi-artificielle, elle a été élaborée de manière consciente au XVIIe siècle par un petit groupe de personnes, les hommes de lettres proches du pouvoir. L’objectif était de se démarquer du latin, la langue de l’Eglise, tout en lui ressemblant un peu. D’où les emprunts nombreux, au latin et au grec. Il y avait aussi l’idée politique d’une langue volontairement complexe pour tenir le peuple à l’écart, de s’en réserver l’accès tout en considérant que c’est la seule langue légitime. (Marie Piquemal « Philippe Blanchet : «Rejeter un accent, c’est toucher à l’identité de l’être» — 24 avril 2016

 

Document 8

Mais cela n’explique pas la discrimination à l’accent ?

Cette distinction est arrivée bien plus tard. Tant que l’usage du français était réservé à une élite, l’accent n’avait pas d’importance. Chacun employait sa langue ou son parler régional, et c’est surtout cela qui était rejeté. Mais avec la mise en place de l’école publique, le peuple s’est peu à peu approprié la langue française. Au fil du temps, l’usage du français a fini par se généraliser, et les accents locaux et sociaux se sont développés. Ce n’est qu’à partir de là, disons dans les années 70, que l’élite de ce pays a cherché un autre moyen de se démarquer. L’accent est alors devenu un marqueur social. L’élite a considéré que la norme était la prononciation standardisée parisienne. La chasse aux accents régionaux s’est développée à ce moment-là. (…)

(Marie Piquemal « Philippe Blanchet : «Rejeter un accent, c’est toucher à l’identité de l’être» — 24 avril 2016)

 

Document 9

Est-ce que, pour vous, l’exemple de ces enseignants bretons ou alsaciens imposant des punitions corporelles au début du XXe siècle dans leurs classes parce que leurs élèves ne s’exprimaient pas en français et qui rentraient chez eux ensuite et parlaient, eux aussi, le breton et l’alsacien, est représentatif de cette hégémonie et de cette schizophrénie linguistique ?

P.B. : Oui c’est un bon exemple, puisqu’on voit à quel point l’idéologie dominante est intégrée y compris par ceux et celles qui peuvent, d’un autre point de vue, en être considérés comme victimes. C’est ce qui définit une hégémonie : la collaboration à une coercition acceptée comme n’ayant pas d’alternative. (…). Le Royaume-Uni a eu une politique impérialiste et glottophobe non seulement dans ses propres colonies éloignées, mais aussi en Irlande, au Pays de Galles, en Ecosse. (…) On oublie que la politique assimilationniste française vise à construire une nation linguistiquement et culturellement homogène, donc une ethnicisation de la nation, qui, au final, est similaire à ce qui est dans l’histoire de l’Allemagne, un point de départ(…) La France a surtout exporté son idéologie linguistique d’Etat dans ses colonies, devenues de nombreux pays francophones indépendants (pas tous) où se reproduit souvent cette glottophobie à l’encontre non seulement des langues locales (de moins en moins) mais surtout des façons locales / nationales de parler le français. De nombreuses études ont montré le mépris dans lequel est tenu le français légitimement sénégalais des Sénégalais, camerounais des Camerounais, haïtien des Haïtiens ou algérien des Algériens, par exemple, surtout dans ses variantes populaires. Et ça non seulement en France (où on va jusqu’à sous-titrer en français le français très compréhensible d’Africains francophones à la télévision — ça se fait aussi pour des Méridionaux ou des Québécois), mais, pire, sur place. Je donne dans mon livre l’exemple d’un reportage télé où un jeune Sénégalais raconte un événement dramatique et ses efforts pour sauver la vie à deux enfants, et qui est devenu sur Internet la risée humiliante de réseaux sénégalais « à cause de » son français pourtant clair et efficace. Propos recueillis par Nicolas Ragonneau, janvier 2016- Discriminations : contre la glottophobie, Editions Textuel

 

Document 10

 (…), la loi française de lutte contre les discriminations, qui date de 2001, complétée en en 2006 et en 2014, ne mentionne pas les discriminations linguistiques. Pire : plusieurs textes juridiques français sont clairement glottophobes, en contradiction avec les textes internationaux ratifiés par la France, comme les lois de 2005-2008 portant sur le séjour des étrangers en France ou l’acquisition de la nationalité française. Ainsi, alors que par ailleurs la loi française impose aux couples mariés d’avoir une vie commune, les conjoints étrangers de Français-es ou d’étrangers/-ères résidant en France ne peuvent obtenir de visa ou de carte de résident pour accompagner ou rejoindre leur conjoint et pour vivre en France avec leur conjoint et/ou leurs enfants qu’à condition de faire la preuve d’une connaissance suffisante de langue française comme garantie supposée de leur intégration effective ou potentielle dans la société française. (…)  (Philippe Blanchet  « La glottophobie, un type de discrimination largement ignoré » - Janvier 2016 - Petite Encyclopédie Critique)

 

Document 11

La glottophobie largement répandue dans diverses sociétés est en effet une cause de difficultés d’apprentissage et d’usage d’autres langues que la langue dominante unique dans ces sociétés, et ceci de deux façons. La première c’est parce que la glottophobie a une facette glottophile : une estime inconsidérée accordée à LA langue au profit de laquelle on cherche à évacuer les autres langues et leurs usagers. Et cette glottophilie dérive souvent en une véritable glottomanie qui relève d’une pathologie : c’est une fixation obsessionnelle et quasiment paranoïaque sur une seule langue que l’on sanctifie et que l’on prétend défendre contre les attaques d’ennemis extérieurs (qui la menaceraient au profit d’une autre langue — typiquement pour les francomaniaques, l’anglais ou l’arabe) ou intérieurs (qui porteraient atteinte à son intégrité et à sa perfection en l’utilisant autrement que selon sa norme sacrée — typiquement les usagers de variétés locales, populaires, jeunes, orales, techniques, langue seconde, etc.). Du coup, ça pose en modèle hégémonique le « monolingue mononormatif natif », modèle projeté sur toute langue et d’autant plus inatteignable qu’il est mythique, et donc qui rend l’apprentissage difficile voire impossible puisqu’on se fixe un objectif hors de portée humaine et inexistant dans le monde social. (…)

(Propos recueillis par Nicolas Ragonneau, janvier 2016 - Discriminations : contre la glottophobie, Editions Textuel)

 

Document 12  Exemples de glottophobie

* Dialogue observé et recueilli dans une classe d’accueil d’une école primaire française (où des enfants non francophones dits « nouvellement arrivés » apprennent le français) :

- « Professeur d’école (PE) : « Comment tu t’appelles?

- élève nouvellement arrivé (ENA) : « Ahmed » (il prononce le h)

- PE: « En France on prononce pas les H. Tu t’appelles Amed. Répète ton nom. Amed »

L’enfant pleure.

* Exemple dans un lycée de Marseille :

« L'enseignante m'a coupé devant la classe alors que je lisais un poème à voix haute, parce que j'avais "mal prononcé" le mot "rose", avec un [o] ouvert dû à mon accent méridional. Je ne me souviens plus des mots exacts mais elle m'a fait comprendre en se moquant que ce n'était pas acceptable d'avoir cet accent pour passer les concours des grandes écoles qu'on préparait telles que l'ENS... puisque bien évidemment on doit se conformer à la prononciation de l'élite parisienne même si l'on vient de la prépa du lycée Thiers à Marseille (...). Pour une correction sur un mot j'ai eu l'impression d'être totalement ridicule et de ne pas avoir ma place dans cette classe ».

(…) Les présentateurs des JT [journaux télévisés] de France 3, eux, savent bien qu'ils n'ont aucune chance de mener une carrière nationale s'ils font entendre leur terroir. Qu'il s'agisse du Sud Ouest, de l'Alsace ou de la Corse, l'accent n'est pas toléré (…) 

* Voici le témoignage d’une étudiante étrangère à Rennes recueilli en 2014 :

« j'essaie de trouver un appartement, j’ai rencontre? quelques propriétaires qui ne pouvaient pas parler un mot d'anglais donc je souviens qu'il y avait deux propriétaires qui m'ont refusé a? cause du fait que mon français n'était pas parfait parce que même quand nous avons parle? au sujet de louer le appartement le fait que j'ai eu quelques difficultés a? comprendre tout ils ont m'ont dit ''désole? euh le niveau de ton français c'est pas parfait donc nous ne nous ne nous ne voulons pas te donner te laisser le ce appartement'' (…). A la fin j’ai fait téléphoner un camarade français et j’ai trouvé un appartement ».

(Philippe Blanchet  « La glottophobie, un type de discrimination largement ignoré » - Janvier 2016 - Petite Encyclopédie Critique)

 

 

PARTIE II : BEGAIEMENT ET STIGMATISATION

LE BEGAIEMENT : UN HANDICAP

Document 1 Qu’est ce qu’un handicap ?

Emprunté à l’anglais « hand in cap », le terme est issu des sports hippiques. Il désigne à l’origine l’application d’un désavantage sur les meilleurs concurrents (par exemple un supplément de poids sur les meilleurs chevaux), afin d’égaliser leurs chances avec les moins bons, lors de « courses à handicap ». L’apparition du mot « handicap » constitue une rupture significative dans la considération des personnes handicapées. Après des siècles passés à mettre en avant l’altérité et la déficience, à exclure les individus de la norme sociale, le mot signale un désavantage que le collectif considère moralement devoir combler pour inclure chacun dans la compétition sociale. Ainsi, loin de l’ « infirme », le « handicapé » s’inscrit d’emblée dans une forte volonté d’inclusion des membres considérés comme les plus faibles. (http://www.paristechreview.com/2012/09/28/handicap-technologie/)

 

Document  2

En 1980, l’Organisation Mondiale de la Santé propose une définition du handicap : « est  handicapé un sujet dont l’intégrité physique ou mentale est passagèrement ou définitivement diminuée, soit congénitalement, soit sous l’effet de l’âge, d’une maladie ou d’un accident, en sorte que son autonomie, son aptitude à fréquenter l’école ou à occuper un emploi s’en trouvent compromises ». Dans la loi du 11 février 2005, pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées : « constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. » La notion de handicap évoque donc un déficit, des limitations, mais surtout les conséquences sur la vie sociale des individus. (Aurore Chanrion – Une Souris Verte... pour la Courte Echelle – Formation A.V.S. – 26/09/06)

 

Document 3

Le bégaiement est un trouble de l’échange : « trouble de la réalisation du langage qui se caractérise par des blocages et des répétitions entraînant une rupture du rythme et de la mélodie du discours » (…) Selon la situation, une personne qui bégaie peut être reconnue comme « travailleur handicapé » auprès de la MDPH (Maison Départementale de la Personne Handicapée), suite au dépôt d’un dossier complet.

Si toutes les personnes bègues ne s’accordent pas sur ce terme, toutes décrivent des situations qui perturbent les échanges et gênent les interactions sociales. Or l’OMS définit le handicap comme « résultant pour un individu donné d’une déficience ou d’une incapacité qui limite ou interdit l’accomplissement d’un rôle normal (en rapport avec l’âge, le sexe, les facteurs sociaux et culturels) ». On parle parfois de « désavantage social ». (…)Le vécu et l’adaptation de la prise en charge de ce handicap est particulièrement complexe pour plusieurs raisons :

D'une part, le bégaiement est un trouble qui n'évolue pas de façon linéaire chez un même sujet : en fonction de sa fatigue, de ses relations avec son entourage, de sa situation actuelle, une personne souffre plus ou moins du bégaiement. On peut recommencer à bégayer après une période de rémission qu’on espérait définitive. D’autre part, toutes les personnes bègues ne décrivent pas et ne vivent pas leur bégaiement de la même façon. Il est plus ou moins marqué et diffère de façon qualitative d’un sujet à l’autre. Enfin le bégaiement touche des dimensions variées de l’être (sphère musculaire, cognitive, psycho-affective, comportementale, sociale, etc.) (…)Ainsi, selon le type de bégaiement et selon les individus le bégaiement est plus ou moins perceptible, les personnes seront donc discrédités ou discréditables

Goffman (1975) recense alors trois réactions possibles de la personne stigmatisée ; elle peut chercher soit à corriger son stigmate, soit à maîtriser des domaines d’activités qui lui sont normalement « interdits » soit à se couper de la réalité. Dans le cas du bégaiement, cela peut se rapprocher de : la rééducation, apprendre à vivre malgré son bégaiement, ou le nier.

(Crespel Gaëlle - Mesnil Elisabeth : « Groupes de personnes adultes bègues  représentations, trajectoires et objectifs - Une approche par les sciences sociales »)

 

Document 4

Le 21ème siècle sera sans nul doute le siècle de la communication. L’évolution sans cesse croissante des moyens de communication en témoigne. (…). Dans ce contexte d’hyper communication, le bégaiement est un trouble particulièrement handicapant. Il se caractérise notamment par une fréquence et une durée anormalement élevées d’interruptions dans l’écoulement normal de la parole (Guitar, 2006). Ces interruptions prennent habituellement la forme de répétition de sons, de syllabes, d’une prolongation de sons, et d’interjections (« heu », « ha »,...) lors de la communication (Guitar, 2006). Outre le langage, le bégaiement s’accompagne de mouvements faciaux, du cou et de clignements des yeux (Emmons, 2009). L’ensemble de ces manifestations constitue une entrave dans le fonctionnement normal de la communication et se répercute sur toutes les sphères de vie des individus qui en souffrent (vie sociale, professionnelle, académique).

Les causes et conséquences du bégaiement ont fait l’objet de nombreuses études. Traditionnellement, l’angle d’analyse abordé par les scientifiques était centré sur l’individu. Pourtant, depuis une dizaine d’années, de plus en plus de travaux soulignent l’importance de la dimension sociale associée à ce trouble de communication (Blood, Blood, Tellis, & Gabel, 2003 ; Blood & Blood, 2004 ; Emmons, 2009 ; Klassen, 2001). L’objectif de ce chapitre sera de prolonger cette réflexion en mobilisant des travaux en sociologie et en psychologie sociale. (…)

(Bourguignon, D., & Demoulin, S. (2011). Bégaiement et stigma social. In. B. Piérard (Ed). Les bégaiements de l'adulte. Mardaga, Wavre)

 

LE BEGAIEMENT : UN STIGMATE

Document 5

A la lumière de ces éléments, le bégaiement est considéré comme un attribut stigmatisant dans la mesure où il enfreint les normes de communication (Klassen, 2001). (…) De nombreuses études témoignent de l’existence de stéréotypes négatifs à l’égard des enfants et des adultes qui bégaient. Ces stéréotypes sont véhiculés tant par les parents d’enfants qui bégaient, les professeurs d’écoles primaires et secondaire, les éducateurs spécialisés, les spécialistes des pathologies langagières, les étudiants universitaires, le grand public que par les personnes elles-mêmes victimes du bégaiement (Bebout et Bradford, 1992 ;  Ruscello, Lass, Schmidt, & Pannbacker, 1994). Concrètement, les personnes qui bégaient sont perçues comme réservées, timides, nerveuses, introverties, sensibles et insécurisées (Klassen,  2001). D’autres études montrent que les personnes avec des troubles du bégaiement rassemblent l’ensemble des traits suivants : calme, réticent, réservé, fuyant, introverti, passif, ayant une vision péjorative de soi, anxieux, dépressif, nerveux et craintif (Snyder, 2001).  Enfin, dans le monde professionnel, des études montrent que les travailleurs qui bégaient sont vus comme moins compétents que leurs collègues ne souffrant pas de ce trouble du langage (Gable, Blood, Tellis & Althouse, 2003 ; Boyle, Blood & Blood, 2009).

(Bourguignon, D., & Demoulin, S. (2011). Bégaiement et stigma social. In. B. Piérard (Ed). Les bégaiements de l'adulte. Mardaga, Wavre)

 

Document 6

De nombreuses études attestent que, de manière générale, le grand public a des attitudes négatives envers les bègues (Bebout & Bradford, 1992 ; Ruscello, Lass, Shmitt, PannBacker, Hoffmann, Miley & Robinson, 1990 ; Ruscello, Lass, Schmitt & Pannbacker, 1994 ; Blood, Blood, Tellis & Gabel, 2003). Ces attitudes négatives sont partagées par un grand nombre de personnes y compris par les professionnels du langage (Crichton-Smith , 2002). Les préjugés envers les personnes qui bégaient sont donc largement répandus et s’accentuent suivant le degré du bégaiement. Une étude de Susca et Healey (2001) montre  ainsi que l’intensité du bégaiement est liée à l’évaluation négative de la personne. Si l’on confronte des individus soit à une personne qui ne bégaie pas, soit à une personne qui bégaie faiblement, soit à une personne qui bégaie fortement, l’évaluation de la personne sera d’autant plus négative que le niveau de bégaiement est important. Pourtant, les préjugés à l’encontre des personnes qui bégaient ne sont pas systématiques. Par exemple, lorsque les individus apprennent que le bègue suit une thérapie, celui-ci sera plus positivement évalué. En somme, le fait d’apprendre que la personne qui bégaie a demandé de l’aide permet d’améliorer les attitudes envers cette personne (Gabel, 2006).

(Bourguignon, D., & Demoulin, S. (2011). Bégaiement et stigma social. In. B. Piérard (Ed). Les bégaiements de l'adulte. Mardaga, Wavre)

 

Document 7

 (…) la majorité de la population persiste à penser que les causes du bégaiement sont avant tout d’ordre psychologique plutôt que génétique ou physiologique. (…) Une étude de Boyle, Blood et Blood (2009) a examiné les effets de ces attributions causales. Les auteurs ont présenté à des étudiants universitaires des personnes souffrant de bégaiement et à qui on avait accolé une vignette explicative des causes à l’origine de leur bégaiement. Ces vignettes présentaient soit une cause psychologique, soit une cause génétique, soit une cause inconnue. Les bègues dont la vignette rendait compte d’une cause psychologique étaient évalués de manière plus négative que ceux associés à une vignette stipulant une cause génétique ou inconnue. (…) Les conséquences de la stigmatisation sociale pour le bien-être psychologique et l’estime de soi ont été largement étudiées. Il a été ainsi montré qu’être socialement stigmatisé peut aboutir à toute une série de résultats sociaux négatifs et au développement de perceptions de soi négatives dans l’enfance et la vie adulte (Crocker et major, 1989 ; Weiner, Perry & Magnusson, 1988 ; Smart et Wegner, 1999 ; Frable, Platt et Hoey, 1998). Il apparaît clairement que la dépression et l’isolement social peuvent être les conséquences des conditions de stigmatisation. (…) A cela s’ajoute la perception de discrimination, une autre source importante de stress. (…) Le bégaiement induit également une série d’émotions négatives. Plus précisément, les personnes qui bégaient font habituellement l’expérience de la frustration, de la honte, de la culpabilité et de la peur (Guitar, 2006). Klompass et Ross (2004) ont ainsi interrogé un échantillon de 16 bègues. Ces derniers rapportent que leur bégaiement est associé à des émotions fortes. (…) Outre ces émotions négatives, des études révèlent que le bégaiement a un impact négatif sur l’estime de soi. Beaucoup de personnes qui bégaient pensent ainsi que les gens qui les entourent les trouvent stupides et nerveuses (Emmons, 2009). (…) Ces résultats sont cependant nuancés par d’autres études qui montrent qu’aucune différence en termes d’estime de soi ne caractérise les personnes qui bégaient (…) Cette absence de déficit d’estime de soi met en évidence les nombreuses stratégies de défense que mettent en place les membres des groupes stigmatisés pour faire face à leur stigmatisation. (…) Au niveau scolaire, des études ont montré que les enfants qui bégaient ont des scores académiques en dessous de la moyenne (Peters et Guitar, 1991). (…) la moitié d’entre eux reconnaissent cependant que leur bégaiement affecte leur performance au travail et estiment que leur chance de promotion est entravée par leur bégaiement.

(Bourguignon, D., & Demoulin, S. (2011). Bégaiement et stigma social. In. B. Piérard (Ed). Les bégaiements de l'adulte. Mardaga, Wavre)

 

Document 8: La notion de stigmate invisible

L’invisibilité du stigmate renvoie à la possibilité pour celui qui le porte de cacher l’existence de cette « partie infamante » de sa personnalité. Cette spécificité du stigmate est souvent perçue comme un atout pour les membres de groupes stigmatisés car elle permet, lors d’interactions sociales, d’échapper aux remarques vexatoires, aux regards méprisants et à l’ensemble des comportements de discrimination des membres des groupes dominants (Allport, 1954). (…) Ces auteurs ont interrogé 48 adolescents sur leur volonté de garder secret leur stigmate. Les résultats montrent que 60% d’entre eux ont déjà tenté de garder leur bégaiement secret. (…) Pourtant les coûts associés à l’invisibilité du stigmate peuvent être supérieurs à leurs bénéfices, comme en témoigne une étude réalisée par Frable, Platt et Hoey (1998). Ces chercheurs ont mené une recherche longitudinale sur une période de 11 jours comparant des personnes au stigmate visible avec d’autres affublés d’un stigmate invisible. Leurs résultats démontrent sans conteste que la situation d’invisibilité s’accompagne d’une diminution de l’estime de soi, d’anxiété et d’affects dépressifs. Des analyses complémentaires ont toutefois souligné que les contacts avec d’autres personnes partageant le même stigmate permettent de contrecarrer ces effets délétères. Ces résultats s’accordent avec d’autres études qui montrent que les rencontres avec les personnes au vécu similaire sont bénéfiques car elles offrent une possibilité d’accès au soutien social (Gaines, 2001) mais également à des mécanismes de comparaisons sociales entre pairs (Wills, 1981 ; Martinot, Redersdorff, Guimond et Dif,  2002). Or, ces deux processus sont connus pour leur faculté de maintien d’une estime de soi positive. La rencontre avec d’autres partageant le même stigmate s’accompagne également du développement d’une conscience de groupe. (…) L’invisibilité du stigmate, outre le fait qu’elle empêche toute dynamique de groupe, constitue une charge importante pour les individus en raison du poids du secret qui y est associé

(Bourguignon, D., & Demoulin, S. (2011). Bégaiement et stigma social. In. B. Piérard (Ed). Les bégaiements de l'adulte. Mardaga, Wavre)

 

Document 9

L’invisibilité du stigmate de bègues et sa dimension contrôlable participent à ce phénomène et constituent autant d’entraves au développement d’une conscience et d’un mouvement collectif. (Bourguignon, D., & Demoulin, S. (2011). Bégaiement et stigma social. In. B. Piérard (Ed). Les bégaiements de l'adulte. Mardaga, Wavre)

 

REPERCUSSIONS DE LA STIGMATISATION

Document 10 : Le rôle des attentes négatives : l’effet pygmalion

Les stéréotypes affectent également les attentes des individus à l’égard des personnes stigmatisées. Ce phénomène mis en évidence par Rosenthal est connu sous les termes d’autoréalisation de la prophétie ou encore d’effet pygmalion (Rosenthal et Jacobson, 1971).  A l’origine, Rosenthal (1 963) s’intéressait au biais de l’expérimentateur qui traduit le fait qu’un chercheur induise inconsciemment les résultats qu’il prédit du simple fait qu’il s’attend à les observer (…) L’application de ce phénomène au domaine du bégaiement est évidente. Ainsi, un professeur ayant l’impression qu’un élève qui bégaie est timide et réservé pourrait éviter de l’interroger de peur de le mettre mal à l’aise. Cela aurait pour effet que cet élève qui bégaie aurait moins d’opportunités de s’exprimer en public. Il risquerait par la suite de se montrer particulièrement maladroit dans les rares occasions qui se présenteraient à lui de communiquer en public. (Bourguignon, D., & Demoulin, S. (2011). Bégaiement et stigma social. In. B. Piérard (Ed). Les bégaiements de l'adulte. Mardaga, Wavre)

 

Document 11 : La menace du stéréotype

Depuis presque dix ans déjà, le phénomène de menace du stéréotype nous apporte un éclairage tout particulier sur l’importance que peuvent avoir les stéréotypes négatifs d’un groupe sur les performances (Steele et Aronson, 1995). (…)Les situations rendant saillants les stéréotypes négatifs auraient pour effet d’éveiller un sentiment de crainte de confirmation de ces stéréotypes et induiraient une série de mécanismes auto-handicapants (comme de l’anxiété et des pensées interférentes). (…) Mais que se passe-t-il lorsqu’un individu échoue systématiquement dans un domaine précis ? Un moyen d’éviter que les échecs répétés ne viennent contaminer l’image qu’un individu a de lui-même consiste à minimiser l’importance de ce domaine dans l’évaluation de soi. (…) sa composante collective apparaît distinctement chez les membres de groupes stigmatisés (Désert, 2003). (…) Les théories de la motivation soutiennent l’idée que la motivation dans un domaine dépend de la valeur qu’on lui attribue et de la réussite estimée dans ce domaine. (…)

(Bourguignon, D., & Demoulin, S. (2011). Bégaiement et stigma social. In. B. Piérard (Ed). Les bégaiements de l'adulte. Mardaga, Wavre)

 

 

III) MUTISURDITE

LE HANDICAP

Document 1

La psychologie du handicap se fonde sur ces observations distinctives et propose deux schémas divergents. Les handicapés de naissance adoptent dès l’enfance un comportement réactif faisant appel à la psychomotricité. Les accidentés de la vie, quant à eux, traversent deux périodes dépressives : la première, associée à une phase de deuil, celui de la vie passée, souvent dépassée mais suivie d’une rechute après la prise de conscience de l’impossibilité de retrouver leurs capacités initiales. S’ensuit un "travail du handicap" que certains poussent jusqu’à un "remaniement identitaire(…) De manière plus générale, les études sur les comportements liés aux handicaps adoptent assez systématiquement ce découpage inné/acquis (…) L’acceptation de l’aide technique reste fonction du degré d’acceptation du handicap. Il n’est pas rare qu’un adulte ayant acquis son handicap suite à un accident ou une maladie refuse toute acceptation ou aide technologique, par peur de l’isolement social qu’elle crée, alors que l’enfant handicapé de naissance accueille en général avec enthousiasme ce qui peut accroître son indépendance.

Handicapés de naissance, accidentés de la vie : au delà des classifications http://www.handimarseille.fr/le-magazine/sciences-et-techno/article/handicapes-de-naissance-accidentes)

 

LA MUTITESURDITE COMME HANDICAP

Document 2

Les surdités, les difficultés d'audition et la presbyacousie génèrent des situations de handicaps invisibles qui sont loin d'être anecdotiques pour ceux qui en souffrent et pour leur entourage. Elles méritent que l'on s'y arrête car, sans être graves. ni menaçantes pour la santé, elles sont particulièrement caricaturales dans leurs effets dévastateurs et leurs conséquences personnelles et sociales. Souvent méconnues, voire négligées, les difficultés d' audition peuvent être à l'origine de sérieuses perturbations car elles ne posent pas seulement des problèmes de confort mais remettent en question l'ensemble des relations avec les autres. La fatigue, impliquée par la nécessité de fournir un effort continuel pour suivre une conversation, conduit inévitablement au repli sur sol et à l'isolement (…) Non seulement on est guetté par l'isolement, mais de profonds changements du caractère se produisent, accompagnés d'une irritabilité et d'une fatigue accrue. La mémoire elle-même est étroitement dépendante de la qualité de l'audition : qui entend mal,  mémorise mal. Sans oublier les risques d'accidents (un objet qui tombe, une voiture qui surgit...) quand les oreilles manquent à leur fonction essentielle qui est de nous transmettre des signaux avertisseurs de danger. (Henri Rubinstein : « Les handicaps invisibles »-Seuil- 2008)

 

Document 3

Nous introduisons ici une distinction entre la « déficience » et ce que, faute d'un terme plus adéquat, on appellera conventionnellement le « handicap ». La déficience et le handicap sont les deux faces d'une même réalité. La première renvoie à son aspect physique, la deuxième à son aspect social. (…)

Dans ce contexte, on appellera handicap l'ensemble des lieux et rôles sociaux des­quels un individu ou une catégorie d'individus se trouvent exclus en raison d'une dé­ficience physique. (…)Ce n'est rien d'autre, si l'on veut, que l'antonyme de l'intégration. La mesure du handicap ayant un intérêt purement sociologique, il n'en existe pas d'officielle. (…). Il est clair en effet qu'une même déficience ne représente pas le même handicap selon les orientations et les modes d'organisation des sociétés. Ce qui n'est qu'une déficience sans conséquences majeures dans telle société ou dans tel contexte peut devenir un lourd handicap dans d'autres. (Bernard Mottez : « A s’obstiner contre les déficiences, on augmente souvent le handicap : l’exemple des sourds » - Sociologie et sociétés, vol. 9, n° 1, 1977)

Document 4

C'est ainsi que si l'on veut comparer la situation des sourds au siècle dernier avec celle qui est la leur aujourd'hui, il faut tenir compte de véritables révolutions ayant eu pour conséquence de les isoler plus. Il existe aujourd'hui bien d'autres canaux pour l'échange et l'information que la lecture, la conversation face à face et les discours publics.(…) C'est aussi pourquoi, ayant cessé d'être muet, le cinéma ne devient accessible au sourd que pour autant qu'il s'agisse d'une production étrangère sous-titrée.(…)La sécurité, tel est en effet le motif au nom duquel, y devenant soudain sensible, on élimine les handicapés du travail en toute bonne conscience: pour le bien de tous et pour leur propre bien. Le peu de pertinence de l'argument, s'agissant des sourds — et comme si c'était là le problème majeur posé par leur emploi (…)nous voulions attirer ici l'attention: la prise en charge par la société de ses responsabilités à l'égard des handicapés — de ceux qui le deviennent dans ce lieu social valorisé qu'est le travail — et le souci qui en découle, d'éviter qu'il ne s'en fasse trop en ce lieu, ont pour résultat d'augmenter le handicap de ceux qui sont déjà victimes d'une déficience. (…) (Bernard Mottez : « A s’obstiner contre les déficiences, on augmente souvent le handicap : l’exemple des sourds » - Sociologie et sociétés, vol. 9, n° 1, 1977)

 

Document 5  handicap ou maladie

pour Eisenberg (1977, cité par Laplantine, 1986), illness caractérise l’expérience subjective du sujet malade ; la maladie telle que le sujet la vit, dans son environnement social et culturel habituel, dans sa vie quotidienne. Selon Laplantine (1986), elle désigne les comportements socioculturels liés à la maladie dans une société donnée. Il s’agit donc de la maladie-sujet, correspondant à la manière qu’a le malade de vivre sa propre maladie, la manière dont elle influe sur sa vie personnelle et sociale. Elle s’oppose au terme de « disease » qui serait « l’appréhension proprement biomédicale de la maladie, seule appréhension fondée sur une connaissance objective des symptômes physiques du malade », la maladie est donc perçue comme étant un ensemble de facteurs objectivables, permettant de lui donner un nom ou de définir la maladie par des critères figés. Benoist (1983, cité par Laplantine, 1986) ajoute un troisième terme, celui de « sickness », qui est « susceptible de rendre compte à la fois des conditions sociales, historiques et culturelles d’élaborations des représentations du malade et des représentations du médecin » (Benoist, 1983, cité par Laplantine, 1986, p.20), correspondant à l’état de maladie, vu par la société. Le terme de sickness correspond donc à la désignation du « processus de socialisation de disease et illness » (J. Benoist, 1983, cité par Laplantine, 1986, p.56). Crespel Gaëlle - Mesnil Elisabeth : « Groupes de personnes adultes bègues  représentations, trajectoires et objectifs- Une approche par les sciences sociales »)

 

 

Document 6

Selon les statistiques, 85 % des personnes handicapées le deviennent après l’âge de quinze ans, ce qui fait du handicap dit "acquis" la situation la plus répandue.(…)

La répartition de l’origine des handicaps selon l’A.G.E.F.I.P.H. en 2007

Or de nombreux spécialistes préfèrent, eux, avoir recours au classement qui différencie handicap congénital et acquis, évolutif et non évolutif. (…) (Handicapés de naissance, accidentés de la vie : au delà des classifications - http://www.handimarseille.fr/le-magazine/sciences-et-techno/article/handicapes-de-naissance-accidentes)

 

MUTISURDITE ET STIGMATE

Document 7 Jones et collègues (1984) ont ainsi mis en évidence 6 dimensions :

- «masqué», se réfère à la mesure dans laquelle une condition stigmatisante puisse être cachée ;

- «court», se réfère à la mesure dans laquelle la condition est susceptible de varier à travers le temps ou dans ses conséquences futures ;

- «dérangeant», se réfère à la mesure dans laquelle la condition stigmatisante entrave les interactions sociales ;

- «qualité esthétique», se réfère à la manière dont l’attribut rend l’individu laid, repoussant;

- «origine», se réfère au caractère acquis ou non de l’attribut stigmatisant ainsi qu’à la responsabilité portée par l’individu de son stigmate ;

- «périlleux», se réfère au degré de dangerosité que la condition stigmatisante pose pour les autres individus ;

(Bourguignon, D., & Demoulin, S. (2011). Bégaiement et stigma social. In. B. Piérard (Ed). Les bégaiements de l'adulte. Mardaga, Wavre)

 

SURDITE ET PERCEPTION

Document 8

(…) les sourds s'auto-définissent comme des visuels. (…) Le regard n'est pas utilisé seulement comme récepteur, mais également comme émetteur d'informations d'une extrême finesse(…)Les sourds ont ainsi le douteux privilège d'être le dernier groupe humain dont les langues restent déniées en tant que langues. (…). Les aveugles ont intitulé leur émission A vous de voir, les sourds ont appelé la leur L'Œil et la main. (…). C'est qu'il n'y a pas grand-chose de commun entre le regard des sourds et le nôtre. (…)A la manière dont elle m'en parle, il est aisé de comprendre ce que c'est pour les sourds que d'être sourd: c'est avoir des capacités que les entendants n'ont pas. (…) L'ouïe capte les ondes sonores de toute provenance, tandis que le regard ne peut capter des ondes lumineuses qu'à l'intérieur d'un champ visuel divisant le monde en deux parties, ce qui est devant soi et ce qui est derrière. Les sourds organisent donc en permanence leur rapport à l'espace sur deux critères: pouvoir utiliser la totalité de leur champ visuel, et ne pas risquer que des choses importantes se passent derrière leur dos (au propre et au figuré). (…) «Le pire, c'est quand tu as une porte derrière toi, tu es toujours à sursauter quand quelqu'un surgit dans ton champ visuel». La distance requise pour une conversation en langue gestuelle est plus grande que pour une communication en langue vocale. Cela se voit notamment chez les mamans sourdes, qui apprennent à leur bébé ses premiers signes en le tenant plus éloigné de leur corps que ne le font les mamans entendantes. Un informateur, avec cet art spontané de la caricature qui n'appartient qu'aux sourds, me montre comment cela se passe dans les relations amoureuses. Les entendants peuvent se parler joue contre joue, alternant caresses et mots tendres. Les sourds ne le peuvent pas: ils doivent sans cesse s'écarter l'un de l'autre pour se dire en langue gestuelle des mots doux... Dans toute conversation, le regard tient une place centrale. Celui qui est en situation d'écoute ne quitte pas le visage de son vis-à-vis. Son regard est d'une grande fixité, à peine modulé par de petits hochements de tête répétés. L'acuité et l'intensité de ce regard sont difficilement descriptibles en mots: elles ne peuvent être que reproduites par la photographie, elles se perçoivent aussi sur des dessins d'enfants sourds. Tout écart à cette règle perturbe la communication: «Nous, les sourds, on a toujours le regard attiré par un détail qui cloche... Si j'ai une petite saleté sur ma chemise pendant que je signe, ça attire le regard de mon vis-à-vis et je vois son regard qui se détourne sans cesse, jusqu'à ce que n'en pouvant plus je lui demande ce qu'il y a. Alors j'ôte la saleté, et la conversation peut repartir...» Sur les lieux de travail où sourds et entendants se trouvent mêlés, les sourds se plaignent en permanence que les entendants passent sans cesse entre eux, coupant grossièrement la communication. La prise de notes, qui oblige à quitter les yeux de l'informateur pendant quelques secondes, pose des problèmes à peu près insurmontables. J'ai dû affronter des interlocuteurs qui me saisissaient de force les mains pour m'empêcher de prendre des notes – non pas que la mise par écrit de ce qui m'était dit fût considérée comme indiscrète, mais tout simplement parce que l'interruption n'était pas supportée. Quant au regard de celui qui parle, il est gouverné par des règles qui seront précisées plus loin. La clôture de l'échange se fait souvent par un abaissement du regard, accompagné de petites moues répétées des lèvres. (…) Que faire de son regard lorsqu'on s'adresse à un public sourd (conférences, stages de formation, séminaires...)? Cette situation, nouvelle pour les sourds, ne pose pas de problème particulier à l'entendant, qui laisse facilement errer son regard sur le public, parce que, même dans une situation de dialogue vocal, il ne lui est pas nécessaire de fixer son interlocuteur. L'orateur sourd, pour qui le regard partagé fonde toute communication, maîtrise plus difficilement une telle situation. Il est inconsciemment tenté de choisir dans l'assemblée un interlocuteur, ce qui fait que les autres peuvent se sentir exclus de la communication. (…) Toute communication en langue gestuelle s'inaugure donc par un regard partagé. Cette proposition a son corollaire: pour refuser de communiquer, il suffit de couper ce «fil tendu entre deux visages» (j'emprunte cette jolie formule à une amie sourde, Dominique Favre). C'est là une arme d'une grande violence, qui n'a aucun équivalent dans le monde sonore des entendants: rompre un dialogue en se couvrant les oreilles ou en tournant casaque n'est qu'un rituel dont l'efficacité est toute relative. Il suffit de donner de la voix pour être assuré d'être entendu, quand bien même l'autre manifeste par son attitude son refus d'écouter.(…)Le refus du regard se manifeste par des comportements hiérarchisés. La manifestation la plus ordinaire consiste à détourner le regard, le plus souvent en baissant la tête, les yeux obstinément fixés sur le sol ou, dans la classe, sur le pupitre. (…) il faut se souvenir que l'enfant est sourd, et que rien n'est craint par les sourds autant que l'obscurité: fermer les yeux équivaut à s'isoler entièrement du monde, à se transformer, l'espace d'un instant, en sourd-aveugle. Le regard n'est plus seulement refusé à l'autre, l'enfant se prive lui-même de toute information sensorielle. L'étape ultime consiste à se dissimuler la tête sous le bras, et à repousser toute tentative de contact physique. Dans la grille de référence de l'entendant, le regard est sans rapport avec la langue. On peut parler à un interlocuteur sans le regarder ni même le voir. La grille de référence du sourd est tout autre. Pour lui, le regard produit massivement du langage. Par conséquent, toute utilisation du regard tendant à produire du sens est interprétée comme étant de l'ordre du langage. (…) Le fait qu'un participant du discours puisse être absent introduit à une autre fonction du regard, qui est de pouvoir pronominaliser une portion de l'espace. En même temps qu'est évoqué pour la première fois un participant, un pointage de l'index accompagné d'un coup d'œil le place en un endroit déterminé de l'espace. Lorsqu'au cours de la conversation on évoquera à nouveau le même participant, il sera inutile de produire le signe correspondant: il suffira de pointer la portion d'espace où il a été préalablement placé, ou de simplement jeter un bref coup d'œil dans cette direction. (…) Le regard est donc le principe organisateur d'un système extrêmement fin, souvent à la limite de la perception, mais strictement codifié. Lorsque le narrateur parle en son nom propre, ses yeux ne quittent pas, en principe, ceux de son vis-à-vis. (…)On ne s'étonnera donc pas que le regard soit le lieu d'un malaise entre sourds et entendants. A. Bernard (1995) a étudié les représentations que les professionnels de la surdité (éducateurs, orthophonistes...) ont des enfants sourds. La question du regard est abordée souvent comme une gêne qui est imputée au sourd. (…) Et de l'autre côté? Qu'un entendant ne connaisse pas la langue des signes, rien de plus normal. Mais qu'il sache si peu, et si mal, utiliser son regard dans les interactions avec les sourds n'est pas compris. C'est un perpétuel reproche: les entendants ne regardent pas les sourds lorsqu'ils leur parlent, si bien qu'on ne peut savoir si ce qui a été dit a été correctement perçu. «J'ai remarqué qu'ici beaucoup de personnes se préoccupent de notre oreille sans me regarder en face»: telle est la critique exprimée publiquement lors d'un colloque sur la surdité (Mercurio, 1990: 108).(Delaporte Y., 1998, « Le regard sourd. "Comme un fil tendu entre deux visages…" », Terrain, n° 30 - http://terrain.revues.org/3363 ; DOI : 10.4000/terrain.3363)

LES DEVENUS SOURDS

Document 9

Les personnes affligées d'un certain stigmate acquièrent en général une même expérience de leur sort et connais­sent des évolutions semblables quant à l'idée qu'elles ont d'elles-mêmes, parcourent, en d'autres termes, un même « itinéraire moral », cause en même temps qu'effet de leur implication dans une même suite d'adaptations per­sonnelles. L'une des phases du processus de sociali­sation ainsi engagé est celle durant laquelle l'individu stigmatisé apprend et intègre le point de vue des normaux, acquérant par là les images de soi que lui propose la société, en même temps qu'une idée générale de ce qu'im­pliquerait la possession de tel stigmate. Puis vient la phase où il apprend qu'il possède ce stigmate et connaît, cette fois en détail, les conséquences de ce fait. L'enchaî­nement et les rapports mutuels de ces deux premières étapes de l'itinéraire moral édifient une structure fonda­mentale, d'où partent les évolutions ultérieures, et qui différencie les itinéraires moraux ouverts au stigmatisé. On peut distinguer quatre types de structures fondamen­tales : La première est propre à ceux qui, affligés d'un stig­mate inné, se socialisent au sein de leur désavantage, alors même qu'ils apprennent et intègrent les critères auxquels ils ne satisfont pas Ainsi, un orphelin apprend qu'il est naturel et normal pour un enfant d'avoir des parents en même temps qu'il comprend ce que c'est que d'en être privé.(…)Néanmoins, il vient un moment où le cercle domestique ne peut plus jouer son rôle protecteur, moment qui varie selon la classe sociale, le lieu d'habitation et le type de stigmate, mais qui représente toujours une épreuve morale(…) Un troisième modèle de socialisation a pour cas typi­que celui de l'individu qui devient stigmatisé tard dans sa vie, ou qui apprend tardivement qu'il a toujours risqué le discrédit, cette dernière situation entraînant, contraire­ment à la première, une réfection radicale de l'idée qu'il se faisait de son passé. Cet individu a tout appris du normal et du stigmatisé bien avant' d'être contraint de se voir comme lui-même déficient. On peut donc supposer qu'il lui est particulièrement difficile de se réidentifier, et qu'il risque fort d'aller jusqu'à la réprobation de lui-même (…) Le quatrième modèle s'applique à ceux qui, d'abord socialisés au sein d'une communauté étrangère, dans ou hors des limites géographiques de la société des normaux, doivent ensuite apprendre une seconde manière d'être qui, pour leur entourage, est la seule réelle et la seule juste.(…) Ajoutons que, lorsqu'un individu acquiert tardivement un nouveau moi stigmatisé, le malaise qu'il ressent à l'égard de ses nouveaux compagnons peut laisser place peu à peu à une gêne envers les anciens. Les gens qu'il rencontre postérieurement au stigmate peuvent ne voir en lui qu'une personne déficiente ; ceux qu'il connaît d'avant, en revanche, attachés qu'ils sont à une certaine image de ce qu'il était, se révèlent souvent incapables de le traiter soit poliment et avec tact, soit familièrement et en l'acceptant sans réserve (…) Quel que soit le modèle général illustré par l'itinéraire moral de l'individu stigmatisé, le moment de sa vie où celui-ci apprend qu'il possède un stigmate est toujours d'un intérêt particulier, car c'est alors qu'il se voit préci­pité dans une nouvelle relation avec ceux qui, eux aussi, possèdent ce stigmate. (…) Or, nous l'avons dit, la première fois que l'individu apprend l'identité de ceux qu'il doit désormais tenir pour siens, il faut s'attendre à ce qu'il éprouve, à tout le moins, une certaine ambivalence des sentiments ; car ces autres, non contents d'être manifestement stigmatisés, et donc différents de la personne normale qu'il se sait être, peuvent en outre posséder des attributs avec lesquels il lui paraît difficile de s'associer (…) Avec cette ambivalence qui imprègne l'attachement de l'individu pour sa catégorie stigmatique, on conçoit que ce n'est pas toujours sans vacillation qu'il la soutient, s'y identifie et y participe. Il y a ainsi tout un « cycle de l'affiliation », suivant lequel l'individu en vient à accepter les occasions qui s'offrent à lui de participer au groupe, ou bien à les rejeter alors qu'il les acceptait auparavant ".(Erving Goffman : « Stigmates – Les usages sociaux des handicaps » - Ed. de Minuit – 1963)

 

Document 10

Suivons ici une des étapes que Goffman nomme l’itinéraire moral. Le devenu sourd connaît une phase durant laquelle il apprend et intègre le point de vue des « normaux ». Il acquiert ainsi les représentations de soi que lui propose la société. Rappelons ici que le devenu sourd dont il est question a perdu l’audition à un moment avancé de son existence. Cet individu a donc tout appris du normal et du stigmatisé, bien avant d’être lui-même contraint de se voir comme déficient, comme sourd. A un moment donné, il va prendre conscience de sa déficience et des conséquences de celle-ci sur sa vie quotidienne et dans ses relations à autrui. Il se crée donc une relation complexe entre la personne « normale » et celle qui ne relève pas aux yeux de celle-ci de la Ç normalité È, c'est-à-dire ici le devenu sourd. (…) les devenus sourds, malgré leur déficience, se sentent toujours comme membres de la communauté des entendants. Ils ont intégré ses valeurs, ses modes de vie, ses pratiques sociales, se sont tissés des relations sociales quasi exclusivement avec des entendants, etc. En plus de perdre l’audition, ces individus doivent affronter le fait d’être exclu de la communauté de leur propre pays, communauté au sein de laquelle ils se sont socialisés et ont forgé leur identité. Ils se sentent alors étrangers face à leur  « ancien » groupe. (…) (PAROD Marlène  « Les devenus sourds : Un monde à part »-Master 1 Sociologie – 2007-2008)

 

Document 11

Mais les personnes qui deviennent sourdes à un moment précis de leur existence vivent une situation différente de celle des sourds congénitaux. En effet, ces personnes ayant perdu l’audition tardivement, ont passé la majeure partie de leur vie dans le monde entendant. Ils ont eux, assimilé les normes et les valeurs véhiculées par la société dominante entendante. Ils ont acquis un mode de communication qu’est la parole. En perdant l’ouïe, ils se détachent de ce qui les reliait au monde entendant. Le statut des devenus sourds est assez particulier. Malgré son aspect très intéressant, la société ne se préoccupe pas vraiment de leur situation. (…)Cette soudaine surdité devient alors un véritable handicap dans la vie de tous les jours, d’autant plus que celui-ci est un handicap invisible aux yeux des autres. (…)Le plus difficile à accepter est certainement le fait qu’ils connaissent au préalable les préjugés qu’ont les entendants envers les sourds. (…) peu d’individus connaissent la situation des devenus sourds, et même parfois ignorent complètement que cela puisse arriver vers 30-40 ans. Ils assimilent généralement le fait de devenir sourd avec l’avancée dans l’âge. (…) Il est fréquent que les devenus sourds n’osent parler de leurs problèmes de surdité, même avec leur entourage le plus proche. Ils tentent par tous les moyens de vivre comme s’ils entendaient encore. (…). A l’inverse des aveugles dont l’entourage prend vite conscience des difficultés, le devenu sourd est souvent repéré à cause de ses contre sens ou de ce qui paraît une hébétude, liée à sa difficulté pour identifier les codes et les signaux sonores. (…) (PAROD Marlène  « Les devenus sourds : Un monde à part »-Master 1 Sociologie – 2007-2008)

 

Document 12

(…). Le devenu sourd sait alors quel genre de regard et de jugements peuvent porter les valides sur les personnes handicapées. Bien qu’il ne se considère pas comme handicapé, il n’en reste pas moins ainsi aux yeux des autres. Mais ici qui sont les autres ? Il y a d’un côté les entendants et de l’autre les Sourds. (…) les devenus sourds sont des individus qui, comme nous l’avons précisé plus haut, ont passé une majeure partie de leur vie au contact d’entendants. (…) Le monde des entendants se ferment désormais à lui. (…) C’est le moment où les individus vivent en marge de la société, où ils ne sont ni complètement intégrés ni complètement exclus. (…) Van Gennep considère la phase liminaire comme plus ou moins longue, tout du moins temporaire. Murphy, quant à lui, insiste sur le caractère définitif de l’état induit par la déficience. (…) Intégré dans un milieu où il se sentait bien, le voilà perdu dans les limbes de la société. Il n’est accepté nulle part. Sa place au sein de la société devient trouble, on ne sait plus si l’on doit l’accepter, le rejeter. (…) C’est pourquoi, bien souvent, les devenus sourds paraissent comme hybrides, autant aux yeux des entendants qu’aux yeux des Sourds. Ils ne peuvent pas les classer dans l’une ou l’autre des catégories. (…)  (PAROD Marlène  « Les devenus sourds : Un monde à part »-Master 1 Sociologie – 2007-2008)

 

Document 13

le degré d’apprentissage déjà acquis conditionne le choix de l’aide technique, en ce qui concerne les déficiences sensorielles notamment. Ainsi, il a été de longue date observé et reconnu que les "devenus sourds" se tournaient plus naturellement vers la lecture labiale que vers le langage gestuel, plus adapté aux sourds de naissance à travers la langue des signes.(Handicapés de naissance, accidentés de la vie : au delà des classifications - http://www.handimarseille.fr/le-magazine/sciences-et-techno/article/handicapes-de-naissance-accidentes

 

Document 14

L’invisibilité de la surdité est souvent perçue comme un sur-handicap, un handicap ajouté. Du fait de cette invisibilité, les interlocuteurs des devenus sourds oublient leur surdité. Ces derniers sont donc sans cesse obligés de leur rappeler. (…) "C’est un handicap non visuel, ils parlent vite donc il faut leur faire répéter, répéter... Quelqu’un qui est en fauteuil, qui est aveugle, qui a sa canne blanche et ses grosses lunettes, et bien ça se voit et du coup ça revient toujours aux gens, c’est un automatisme. Tandis que nous, on leur dit, puis quand on leur fait répéter, ils ont déjà oublié qu’on leur a dit qu’on était sourd. Et on ne remet pas ça sur le tapis toutes les cinq minutes. Ça c’est un gros problème » [Maryline] L’invisibilité de la surdité est souvent perçue comme un sur-handicap, un handicap ajouté. Du fait de cette invisibilité, les interlocuteurs des devenus sourds oublient leur surdité. Ces derniers sont donc sans cesse obligés de leur rappeler. (…) (PAROD Marlène  « Les devenus sourds : Un monde à part »-Master 1 Sociologie – 2007-2008)

 

Document 15

 (…) En engageant la conversation comme un entendant, l’interaction risque de rencontrer à un moment ou un autre des difficultés. Le sourd natif lui, n’a pas ce problème: " d’entrée de jeu il se comporte comme un sourd (…) Les interactions se passent ainsi souvent mieux pour les sourds natifs que pour les devenus sourds. (…) Nous ne parlerons pas ici de honte mais plutôt de confusion face à leur nouveau statut. En effet, les devenus sourds doivent apprendre à vivre avec une nouvelle partie d’eux-mêmes dont ils n’ont pris qu’ˆ posteriori toute la mesure. (…) Mais avouer sa surdité c’est un peu avouer une certaine faiblesse. Cette faiblesse, les devenus sourds, comme n’importe quelle personne, ne veulent pas qu’elle soit connue de tous, qu’elle soit affichée. Pour ne pas que leur surdité soit perceptible, ils doivent user de divers stratagèmes et sont bien parfois obligés de leurrer autrui.

(PAROD Marlène  « Les devenus sourds : Un monde à part »-Master 1 Sociologie – 2007-2008)

 

VI HISTORIQUE

Document 16

(…). Depuis le 16 siècle, deux modes de communication pour les sourds s’opposent, la modalité orale et la modalité gestuo-visuelle. (…) L’abbé de l’Epée fut donc le chef de file de l’enseignement des signes, et fut suivi dans toute la France puis en Europe. (…). A cette époque, les sourds ne sont pas considérés comme des êtres humains. Ils sont incompris et sont bien souvent abandonnés ou enfermés dans des asiles. (…) . Pour eux, le langage est le seul moyen qu’ont les hommes pour communiquer entre eux. Le langage permet d’exprimer ses pensées mais surtout de développer une idée, un concept. Voilà pourquoi à cette époque, les sourds, privés de cette faculté, sont considérés comme ne faisant pas partie de l’humanité. (…)Malgré le fait que cette technique des signes, mise en place par l’abbé de l’Epée, connaisse une expansion rapide, l’oralisme reste prédominant. En 1880, cette prédominance se concrétisa par le Congrès de Milan. Cette assemblée internationale était destinée à évaluer les différentes méthodes existantes d’enseignements pour les sourds. De ce que l’histoire nous raconte, ce fut un véritable affrontement entre pro gestuel et pro oraliste. Alors que cette assemblée avait pour but de définir l’avenir des sourds, les participants y étaient majoritairement des entendants. Ce sont eux qui décidèrent pour les sourds. (…)La langue gestuelle est alors perçue comme une langue inférieure. Les sourds sont soumis à l’oralisme, qui préconise la lecture sur les lèvres et l’articulation. La langue des signes est donc interdite et ce, durant plus d’un siècle. (…) Jusqu’en 1914, ces derniers tentent, de congrès en congrès, d’entamer le dogme oraliste. En 1914, l’enseignement est en totalité oraliste. Les enfants qui ne parviennent pas à parler sont classés comme arriérés. (…) La secousse de mai 1968 a éveillé une sensibilité nouvelle à la diversité des cultures en France et a rendu le droit de parole aux minorités linguistiques. Le droit à la différence est ainsi invoqué, aboutissant à la prise de conscience collective de la langue des signes comme source et instrument de la culture sourde. Le « réveil des sourds » n’eut lieu qu’à partir des années 1980, (…)C’est également à cette même période que fut créée la première classe bilingue à Paris. Elle a été suivie par l’ouverture, dans toute la France, de classes spécialisées dans des établissements ordinaires de l’Education Nationale. Cela s’est ensuite concrétisé par la loi Fabius 91-73 (Article 33) du 18 janvier 1991, stipulant que Ç dans l’éducation des jeunes sourds, la liberté de choix entre une éducation bilingue Ð langue des signes et français Ð et une communication orale, est de droit È. Cependant, ce n’est qu’en 2005 que Ç la langue des signes française est reconnue comme une langue à part entière È8. Il a donc fallu plus d’un siècle pour qu’enfin soit légitimée la langue des signes et avec elle l’identité et la culture sourdes. (PAROD Marlène  « Les devenus sourds : Un monde à part »-Master 1 Sociologie – 2007-2008)

 

Document 17

En 1829 et 1832, l'Institut de Paris interdit, dans les limites de son territoire, la communication par gestes entre les enfants qu'il accueille ". (…) Les sourds communiquant entre eux doivent pouvoir être compris par quelqu'un qui ne comprend pas leur langue ; s'il ne les comprenait pas, cette mauvaise pantomime indi­querait d'elle-même la nécessité du passage à la parole artificielle ". Ainsi, éradiquer le geste, c'est supprimer à la fois le naturel et son contraire, le pervers. (Sabine Lodéon : « La fabrique du corps parlant : l'institution du sourd-muet en France (fin XVIIIe-début XIXe)- Revue Communication - Année 1993 Volume 56)

 

Document 18

(…)Le génie de l'abbé de l'Épée consista à faire de cette langue le véhicule de l'instruc­tion des sourds. Il s'occupa à en démutiser quelques-uns. (…)Pendant le XIXe siècle, deux méthodes se sont néanmoins affrontées pour l'éduca­tion des sourds. Si certains suivaient celle par laquelle l'abbé de l'Épée avait frayé le chemin à l'éducation de masse des sourds, d'autres, suivant S. Heinicke, de Leipzig, préconisaient un enseignement exclusivement oral. Estimant qu'on ne pense que pour autant qu'on parle, ce dernier soumettait tout enseignement à l'apprentissage préalable de la parole (exercices d'articulation) et de la lecture labiale. En raison de la célèbre polémique entre l'abbé de l'Épée et S. Heinicke, ces mé­thodes, méthode mimique et méthode orale, ont été qualifiées de méthode française et de méthode allemande. C'est la terminologie qui continue d'être employée au Congrès de Milan, qui en 1880 tranchera et pour longtemps, en faveur de cette dernière. Mais ce qu'on appelait la méthode française avait presque disparu en France à ce moment. (…) On utilisait alors la méthode mixte ou combinée, termes qui recouvraient les manières les plus diverses de faire cohabiter le signe et la parole, ainsi que l'écriture et la dactylologie (alphabet manuel). (…) On parle de méthodes, mais ce qui a triomphé à Milan, c'est en effet l'affirmation claire des buts désormais assignés à l'éducation des sourds. Autrefois moyen parmi d'autres, la parole, en devenant le seul, est érigée en fin. (…) À partir de 1880, il est établi qu'à moins de bien articuler on ne peut être bon chré­tien, bon citoyen ni bon ouvrier. La parole étant considérée comme le « passeport né­cessaire d'accès à la culture » et la condition sine qua non de l'insertion sociale, elle devient en matière d'instruction le but, la mesure de toute chose et son acquisition le préalable évident à la réception de toute forme de savoir. « Pourquoi donc vouloir à toutes forces donner « le savoir » aux sourds avant de leur avoir donné les moyens d'acquérir le langage correct? » (…)D'un siècle d'obstination oraliste, on commence à dresser le triste bilan. Cette remise en question a lieu aussi bien dans certains pays où l'oralisme avait été pratiqué de la façon la plus rigoureuse, comme dans les pays scandinaves, que dans ceux, comme les États-Unis, où le recours à la langue des signes ne fut jamais dans l'enseignement l'objet de cet interdit absolu que nous avons connu et connaissons encore en France8. (Bernard Mottez : « A s’obstiner contre les déficiences, on augmente souvent le handicap : l’exemple des sourds » - Sociologie et sociétés, vol. 9, n° 1, 1977)

 

Document 19

: la communauté a une mémoire collec­tive que ses membres contribuent à reproduire et, surtout, qu’ils tiennent à maintenir et à transmettre. (…). Ainsi, à partir de 1834, en France, le Comité des sourds-muets5 organise des banquets pour l’anniversaire de naissance de l’abbé de l’Épée (Mottez, 1993: 143). (…)L’abbé de l’Épée croyait que les per­sonnes sourdes avaient un langage propre qui n’attendait que l’occasion de s’exprimer6. Les banquets étaient l’occasion de réunir des membres des communautés de divers pays. La création de la Fédération mon­diale des sourds, en 1951, lors du premier Congrès mondial des sourds, est une autre manifestation de la cul­ture sourde; le plus récent congrès a eu lieu à Montréal en 2003. (…)En 1986, un Festival national des arts a été organisé par la Société cul­turelle québécoise des Sourds. Le Québec compte aussi deux troupes de théâtre: le Théâtre visuel des Sourds du Québec et le Théâtre des Sourds de Montréal, fondées respec­tivement en 1968 et en 1982. Cette liste n’est pas exhaustive. (Daphnée Poirier : « La surdité entre culture, identité et altérité » - Lien social et Politiques, n° 53, 2005)

 

Document 20

 (…)Si l'oralisme a spectaculairement échoué dans ce qui fut et reste son ambition, faire parler tous les sourds et de façon qu'ils soient compris, il a excellement rempli une partie de son programme: en stigmatiser la langue. Il n'est certes pas venu à bout de la langue des signes, comme il se le proposait. Mais il a réussi à en faire une langue honteuse. C'est celle qu'on utilise en cachette, c'est celle de la quotidienneté, des échanges affectifs et de la conspiration, c'est celle des enfants (sourds) contre leurs maîtres (entendants). (…) Il est frappant de voir le changement de ton de la littérature concernant les sourds à partir du moment où est fait le choix oraliste. (Bernard Mottez : « A s’obstiner contre les déficiences, on augmente souvent le handicap : l’exemple des sourds » - Sociologie et sociétés, vol. 9, n° 1, 1977)

 

Document 21

 (…) L’Abbé Charles Michel de l’Épée (1712-1789) est sans doute la figure historique la plus connue de la population Sourde. Cet entendant est à l’origine de l’enseignement spécialisé dispensé aux jeunes sourds, ainsi que l’accès à des méthodes gestuelles pour mener à bien cette éducation. Il fonde à Paris en 1760 la première véritable école pour sourds et publie en 1776 son premier ouvrage (…). Les positions entre "oralistes" et partisans de la Langue des Signes se durcissent, et lors du congrès de Milan, en 1880, les partisans de la méthode orale pure l’emportent. Durant un siècle, le congrès ce Milan va imposer sa doctrine à une communauté sourde réduite au silence. Le congrès de Milan signe donc la fin de l’éducation en signes. Cet événement sera vécu comme une humiliation par les sourds. Pendant un siècle, les sourds seront condamnés à un apprentissage mécanique des sons, les privant de l’accès au sens et les réduisant à l’illettrisme. (…). Le mouvement des sourds en France se sépare alors en deux grandes tendances qui subsistent encore aujourd’hui : - le droit à la différence (reconnaissance de la personne sourde) - la recherche de l’interpénétration des deux mondes Durant les années 70, notamment à travers les congrès de la Fédération Mondiale des sourds, on assiste à la prise de conscience de la richesse et de l’efficacité de la langue des signes [7]. En 1977, le Ministère de la Santé abroge, l’interdit qui pèse sur la langue des signes. On assiste alors à une re(con)naissance de la langue des signes française. Notons à cette époque les initiatives de Bernard Mottez (à qui l’on doit la dénomination « Langue des Signes Française ») qui crée un groupe d’étude linguistiques et sociologiques de la communauté sourde en France. Notons également la naissance aux ateliers de théâtre "sourd" de Vincennes : l’IVT (International Visual Theatre). Il faut néanmoins attendre 1991 pour que l’Assemblée Nationale accepte par la loi Fabius, l’utilisation de la LSF pour l’éducation des enfants sourds. Ainsi, est actée par la Loi 91-73 (titre III) article 33 du 18 janvier 1991, que : "Dans l’éducation des jeunes sourds, la liberté de choix entre une communication bilingue (langue des signes et français) et une communication orale est de droit". Enfin, dernier épisode législatif avec la Loi du 11 février 2005 et son Article 75. Celui-ci reconnaît enfin à la Langue des Signes Française un statut de langue à part entière. Par cette Loi, le gouvernement s’engage notamment : à développer l’audiodescription des programmes télévisés, à adapter des dispositifs de communication pour l’ensemble des services publics, dont les juridictions administratives, civiles et pénales, à assurer un ensemble de mesures d’accompagnement (interprètes, médiateurs en LSF) lors d’épreuves, concours, permis de conduire etc. Aujourd’hui, les sourds réinvestissent peu à peu l’espace public dont ils avaient été évincés. (Ugo Chavarro : « Au delà du handicap, une culture » -  http://www.handimarseille.fr/le-magazine/culture-124/article/au-dela-du-handicap-une-culture )

 

Document 22

 (…)  L’utilisation des langues de signes, surtout dans les milieux scolaires, fait naître une résistance modérée puis véhémente de la part des défenseurs de la « parole » dans l’éducation prodiguée aux enfants sourds. Les langues de signes, conçues par certains penseurs et éducateurs de l’époque 18 comme contre nature ou comme des formes médiocres de communication, deviennent à ce moment-là pour plusieurs experts, une menace sociale ne pouvant conduire qu’à une déshumanisation progressive d’une partie de la population. La critique des opposants à l’éducation gestuelle des sourds, qui avait jusqu’alors été assez passive19, se trans­forme rapidement en alarmisme avec, comme chef de file, Alexander Graham Bell. Pour soutenir ses positions eugénistes, il écrit en 1883 un ouvrage s’inquiétant des mariages entre sourds et de la transmission de la surdité. Il en conclut que le seul moyen d’empêcher le développement d’une hypothétique – et, disons-le, farfelue – variété sourde de l’humanité est de minimiser cet esprit de commun-auté sourde. Pour ce faire, son principal cheval de bataille consiste à tenter d’interdire l’usage des langues de signes dans l’éducation des enfants sourds. (Charles Gaucher« Les sourds comme figure de tensions identitaires »  - Anthropologie et Sociétés, vol. 29, n° 2, 2005- http://id.erudit.org/iderudit/011899ar)

 

Document 23

Les langues de signes deviennent dès lors de véritables enjeux politico­identitaires et les sourds, ayant maintenant refusé eux-mêmes le statut de « sourds-muets », commencent à réfléchir sur leur condition et leur appartenance à un groupe commun à partir d’un certain nombre de constats ethnolinguistiques. (Charles Gaucher« Les sourds comme figure de tensions identitaires »  - Anthropologie et Sociétés, vol. 29, n° 2, 2005- http://id.erudit.org/iderudit/011899ar)

 

 

VII SURDITE ET IDENTITE

Document 24

Dans sa théorie de l’identité sociale, Tajfel (1978) définit l’identité sociale comme la partie de la conception de soi que les individus dérivent de leur appartenance à un groupe social. Une des hypothèses centrales de cette théorie est que l’image que nous avons de nous-mêmes est à la fois dépendante de notre identité personnelle (qui dépend de l’ensemble de nos caractéristiques personnelles) mais également de nos identités sociales (qui vont dépendre de l’ensemble des caractéristiques qui définissent les groupes auxquels nous appartenons). Dans cette perspective, la valeur accordée à l’identité sociale est directement fonction de la position de notre groupe dans la hiérarchie sociale (Bourguignon, D., & Demoulin, S. (2011). Bégaiement et stigma social. In. B. Piérard (Ed). Les bégaiements de l'adulte. Mardaga, Wavre)

 

Document 25

Goffman (1 975) distingue plusieurs types d’identité :

- L’identité sociale : réelle quand on peut prouver tous les critères d’appartenance qu’elle comprend de manière rationnelle ; virtuelle lorsqu’on infère cette identité à partir des données que nous avons.

- L’identité pour soi, qui représente la façon dont on se perçoit soi-même.

- L’identité personnelle, qui regroupe la biographie d’un individu ainsi que des « porte-identité » comme le nom ou le visage.

(Crespel Gaëlle - Mesnil Elisabeth : « Groupes de personnes adultes bègues  représentations, trajectoires et objectifs - Une approche par les sciences sociales ")

 

Document 26

Nous venons d’observer que ces six concepts : stigmate, rapport au groupe d’appartenance, intégration du stigmate (identité pour soi), représentation de la maladie, modèle de soin et trajectoire de soin sont intimement liés entre eux et s’influencent mutuellement. Ils sont les concepts clés de la littérature pour appréhender les rencontres de personnes partageant un même stigmate : Goffman (1975) montre que dans le rapport aux groupes de pairs se joue l’identité de la personne stigmatisée. En acceptant de s’intégrer à un tel groupe, la personne doit avoir intégré son handicap dans son identité. Elle doit donc avoir une représentation interne de son bégaiement. Dans cette notion d’intégration du stigmate se joue aussi l’idée de représentation de la maladie. En effet, selon qu’on perçoive le bégaiement comme un trouble exogène ou endogène, selon qu’il nous semble bénéfique ou maléfique, selon qu’on en parle en première ou en troisième personne, on ne vit pas son bégaiement de la même façon, on ne l’intègre pas à son identité de la même façon. (Crespel Gaëlle - Mesnil Elisabeth : « Groupes de personnes adultes bègues  représentations, trajectoires et objectifs - Une approche par les sciences sociales »)

 

Document 27

Longtemps appréhendée unique­ment comme un handicap par les sciences sociales, la surdité devient depuis une quinzaine d’années un objet de recherche culturelle. Cette nouvelle approche repose sur la distinction entre sourd (condition physiologique) et Sourd (identité culturelle positive). Cette distinction ne s’est pas encore imposée pleine­ment dans le monde francophone. En effet, si en anglais (particulièrement aux États-Unis) le mot Deaf — avec une majuscule — est communément reconnu et accepté au point de dési­gner à lui seul un champ d’études1, il est moins évident qu’il en soit ainsi pour son équivalent français. «Sourd» vient de surdus, «qui n’entend pas» ou (au figuré) «qui ne veut pas entendre» (Rey et al., 2000: 3597). En français, «sourd†» qualifie habituellement la personne qui «per­çoit insuffisamment les sons ou ne les perçoit pas du tout†». (…) (Daphnée Poirier : « La surdité entre culture, identité et altérité » - Lien social et Politiques, n° 53, 2005)

 

Document 28

Un mouvement social désigne toute action collective visant à  changer les comportements et/ou les institutions en un sens favorable à  un groupe actif et organisé. On parlera donc de mouvements sociaux pour qualifier toute action collective revendicative visant à  transformer l'ordre social existant. Le mouvement social ne se limite pas au monde du travail, surtout à  notre époque. Un mouvement social a deux dimensions : le conflit avec l'adversaire et une visée, un projet d'orientation culturel, sociétal". Par cette phrase, A. Touraine définit les nouvelles oppositions entre groupes sociaux, au sortir de l'ère industrielle. Si le travail était la source esentielle des conflits dans la société industrielle, dans une société "post-industrielle", les conflits s'organisent désormais principalement autour de la lutte pour la détermination de "l'historicité", pense-t-il. Ce concept, un peu obscur de prime abord, est relativement simple. Il s'agit de l'action qu'exerce la société sur elle-même, en particulier sur ses pratiques sociales et culturelles. Les mouvements sociaux sont alors en conflit, non pas contre un groupe dominant ou pour défendre une position économique, mais bien pour le contrôle des orientations sociales et culturelles de la société. La maîtrise de "l'historicité" est l'enjeu principal des mouvements sociaux, puisque le groupe "dirigeant" ou écouté peut déterminer l'orientation sociale de la collectivité, lui imposant des choix de vie ou moraux. Un mouvement social doit donc avoir un projet de société alternatif, selon Alain Touraine. Retenons que les mouvements sociaux visent à  transformer la société (http://ses.webclass.fr/notion/mouvements-sociaux)

 

Document 29

 (…) cerner les éléments qui font des personnes sourdes une communauté de sens, se définissant en fonction d’une langue et d’une représentation du monde différentes de celles de la majorité (les enten­dants). (…). Nous postu­lons ainsi que l’identité de la personne sourde se construit sur le mode de l’ambivalence puisque deux pôles cohabitent: d’un côté la cul­ture, de l’autre la déficience et le handicap. (…). On peut étudier les personnes sourdes à la fois sous l’angle du handicap social, puis­qu’elles vivent des «limitations fonctionnelles», et comme un groupe caractérisé par des traits cul­turels, voire nationaux. Une étude4 a permis de vérifier l’existence de cette ambivalence. Presque toutes les personnes inter­viewées dans le cadre de cette recherche, Sourds ou oralistes, res­sentent la tension entre leur culture et leur stigmate comme une caractéris­tique fondamentale de leur identité et une dimension centrale de leurs rela­tions sociales. Mais le rapport des Sourds au mode de communication oraliste et gestualiste est plutôt com­plémentaire qu’oppositionnel. (…)Dans un monde où la communica­tion et les échanges interpersonnels reposent principalement sur la capa­cité d’émission et de réception d’un message oral, les oralistes privilé­gient l’oralisation et la lecture labiale comme mode de communication. Ils adhèrent au principe d’intégration à la majorité entendante, (…) En d’autres termes, on offre à la personne déficiente des moyens de vivre le plus normalement pos­sible dans la société. (…)Plusieurs auteurs qui ont étudié la culture sourde s’entendent pour dire que cette dernière existe en fonction d’une différenciation par rapport à la «culture dite enten­dante». (…). Elles revendiquent l’uti­lisation de la langue signée pour communiquer. La langue n’est évi­demment pas l’unique facteur qui fonde l’appartenance culturelle, mais c’est le principal vecteur de revendi­cation des personnes sourdes. (…). Les sourds  font partie de ceux qui se définissent en fonc­tion d’un écart à une norme. (…)Cela n’empêche pas les personnes sourdes de revendiquer légitimement leur appartenance à une culture sourde. Or, s’il existe une histoire et un mode d’appréhension de la réalité propres aux Sourds qui transcendent les particularismes nationaux et régionaux, les frontières nationales jouent tout de même un rôle détermi­nant dans les différences culturelles: les Sourds du Québec ont une langue particulière, la langue des signes qué­bécoise, une histoire institutionnelle propre, des événements associatifs particuliers, bien qu’ils aient été for­tement influencés par les cultures sourdes française et américaine. (…) ils peuvent à la fois être rangés dans la catégorie de la «culture de groupe» incarnée dans des communautés concrètes et être un mouvement mobilisant une identité collective autour d’un enjeu primor­dial. D’une part, selon Wieviorka, les personnes sourdes forment un mou­vement qui a transformé leur défi­cience ou leur handicap individuel en identité collective, en plaçant au centre de leurs revendications la reconnaissance de leur langue, la langue des signes. Autrement dit, ils ont tenté de se débarrasser des contraintes qui les stigmatisaient, et par conséquent les isolaient au sein de la société, en se forgeant une identité qui leur a permis de s’affirmer collec­tivement de manière positive.(…) (Daphnée Poirier : « La surdité entre culture, identité et altérité » - Lien social et Politiques, n° 53, 2005)

 

Document 30

Tout d’abord, et même si nombre de sourds refusent l’étiquette de "personnes handicapées", ce qui ressort de prime abord c’est la situation de handicap. (…) Cette déficience est donc source de handicap social, handicap de la relation et de la communication. Émerge dans un second temps la notion de culture. En sociologie, la culture est définie comme "ce qui est commun à un groupe d’individus et comme ce qui le soude". A ce titre, les Sourds [1] ne se considèrent pas comme des personnes handicapées mais comme des membres d’une communauté culturelle distincte, ayant en commun leur propre langue, leurs propres valeurs, règles de comportement, traditions, leur propre identité et leur humour propre. (…)A ce titre, nous l’avons dit, les Sourds ne se considèrent pas comme des personnes handicapées mais comme des membres d’une communauté culturelle distincte, ayant en commun leur propre langue, leurs propres valeurs, règles de comportement, traditions, leur propre identité et leur propre humour. La langue des signes est l’élément fondamental de la culture sourde. Elle en est un élément constitutif irréductible car elle matérialise dès sa naissance la relation, le moyen de communication d’une personne sourde avec l’autre, avec le monde. (…) La langue des signes possède une grammaire et une syntaxe qui lui sont propres. Elle est constituée de cinq paramètres : position des doigts et de la main, mouvements, emplacement et expressions du visage. Elle comporte également une syntaxe (le lieu, les personnages, l’action) et une grammaire. Chaque pays a sa propre Langue des Signes, elle n’est donc pas universelle. Il existe donc une Langue des Signes Française (LSF), la B.S.L pour British Sign Language, la A.S.L pour American Sign Language etc. La langue des signes a son propre alphabet : l’alphabet dactylologique ou alphabet manuel ou encore alphabet digital. (…) L’identité sourde, comme la plupart des phénomènes identitaires, est déterminée par la différence avec "l’autre". Les sourds sont d’abord sourds et après ils ont leurs identité nationale, religieuse etc. Cette identité, c’est donc d’abord s’identifier comme Sourds : accepter sa surdité et ne pas la cacher, utiliser la langue des signes sans gêne et utiliser les moyens pour communiquer avec les entendants ; c’est ensuite s’inscrire dans le "destin" de sa communauté, en partager les revendications collectives Habituellement chaque communauté occupe un territoire géographique particulier ; le territoire des sourds n’a pour frontières que la langue. (…) L’histoire de la communauté sourde et de leur langue sont intimement liées. (…). "Etre sourd, c’est être condamné non pas à ne pas entendre, mais à vivre dans un monde qui ne comprend pas les sourds" [8]. C’est de ce point de vue que la surdité occupe une place particulière dans les déficiences sensorielles étiquetées comme "handicaps". La surdité est en effet "la seule déficience dont les personnes atteintes se retrouvent autour d’un système de communication, d’une langue vivante et donc, d’une culture" (…) Donc, d’un côté des positions radicales, revendicatives, et une forme de cloisonnement : refus d’oraliser, tout en LSF. De l’autre un courant d’adaptation à la majorité. Entre une identité invisible et une identité caméléon, reste la possibilité de développer la culture sourde, tout en refusant les ghettos culturels. (…). C’est aussi comprendre et souligner que : "la culture sourde naît du dépassement de l’identité négative produite par le handicap par une identité linguistique positive fondée sur l’appartenance à une communauté de sens". [11]. (Ugo Chavarro : « Au delà du handicap, une culture » -  http://www.handimarseille.fr/le-magazine/culture-124/article/au-dela-du-handicap-une-culture )

Document 31

L’humour permet [aux sourds] de leur retourner le compliment: « ce sont les entendants qui souffrent d’un grave handicap, celui d’être incroyablement sensibles au bruit! » .

(PAROD Marlène  « Les devenus sourds : Un monde à part »-Master 1 Sociologie – 2007-2008)

 

Document 32

 (…) La culture sourde, la langue des signes est donc une façon d’appréhender le monde et de structurer ses rapports aux autres. De plus, cette culture se distingue de toute autre culture notamment par l’importance qu’elle donne au regard. Le langage visuel utilisé par la communauté sourde ne suppose pas seulement l’usage des mains. Le regard est primordial dans la communication. Sans regard partagé, il n’y a pas de communication possible. (…) En outre, la culture sourde se caractérise par une certaine façon d’utiliser son corps : les mains ont une grande importance dans leur rapport avec l’environnement, Ç les mains sont notre parole È15. Le regard a également une importance capitale pour les sourds, autant dans la communication que dans l’appréhension du monde. (…)Une personne peut être sourde et côtoyer des entendants. Certains sourds font partie intégrante du monde entendant mais, dans ce cas, ils ne seront pas considéré s comme appartenant à la communauté sourde. En effet, Ç la communauté des sourds est formée de ceux qui recherchent le commerce des leurs et dont le mode habituel de communication est le langage gestuel, la langue des signes ». (…). Ils distinguent ainsi les Sourds des oralistes et des devenus sourds. Les Sourds sont donc des personnes reconnues et acceptées en tant que membres de la communauté et de la culture sourde. Les oralistes, eux, sont des individus sourds de naissance mais qui ont développé et qui maintiennent la communication orale en utilisant leur audition résiduelle et l’amplification, la lecture labiale ou le Langage Parlé Complété. L’oraliste est une personne qui se conforme aux normes de la société dominante entendante. Quant aux devenus sourds, ils se distinguent des deux autres par le fait qu’ils ont grandi sans être privés de l’ouïe et qu’ils ont intégré les valeurs véhiculées par la société entendante. (…)Le devenu sourd et l’oraliste sont donc considérés comme des Ç sourds È (avec une minuscule), en référence à l’étiquette médicale de la surdité. Ces deux catégories de personnes ne peuvent pas être acceptées par la communauté sourde, du fait qu’elles ne pratiquent pas la langue des signes, mais surtout parce qu’elles ont intégré les valeurs de la société entendante. (…). En conséquence, les devenus sourds ne sont pas Sourds. (…) faire partie de la communauté sourde signifie que l’on a eu un parcours de vie relativement similaire. (…) Même au sein de leur famille, les sourds font la dure expérience de l’altérité. (…) Parmi les étapes qui jalonnent leur vie figure le moment crucial de la découverte qu’ils ne sont pas seuls au monde, mais qu’il existe une collectivité d’êtres semblables à eux, avec sa langue propre. (…) Cependant, appartenir à la communauté sourde, être en permanence avec des gens qui nous ressemblent ne résout en rien le coeur du problème des sourds : être immergé et dispersé dans un monde entendant (PAROD Marlène  « Les devenus sourds : Un monde à part »-Master 1 Sociologie – 2007-2008)

 

ocument 33

Les langues de signes deviennent dès lors de véritables enjeux politico­identitaires et les sourds, ayant maintenant refusé eux-mêmes le statut de « sourds-muets », commencent à réfléchir sur leur condition et leur appartenance à un groupe commun à partir d’un certain nombre de constats ethnolinguistiques. La figure du Sourd prend ainsi graduellement forme. Cette figure, construction sociologique eti déal identificatoire, permet à la communauté sourde de définir et de distinguer le « vrai »25 Sourd du reste des individus. Le Sourd devient un être foncièrement lin­guistique. Le Sourd est d’abord la personne qui s’exprime en langue des signes de façon « naturelle » et qui, issue d’une famille sourde, a des enfants sourds26. Son engagement au sein de la communauté vient ajouter à son identité sourde un aspect culturel, relationnel et électif, qui donne à son être une profondeur ethnique.(…) L’existence du « vrai » Sourd implique nécessairement une définition du groupe. Une distinction interne, intrinsèque aux dynamiques identitaires renvoyant à la figure du Sourd, s’est donc imposée. Non pas entre les différents niveaux de sur­dité (à l’exemple des principales institutions de prise en charge délimitant les surdi­tés avec, parmi d’autres instruments, les tests audiométriques), mais entre les diffé­rents types de corps sourds en relation avec la langue des signes. Une nomenclature de ces types, élaborée à partir de lieux communs et de données sociohistoriques, s’est graduellement développée, évoluant au gré des modes et se raffinant ou se res­treignant selon les milieux. (…) Cette nomenclature sourde, associée aux différentes ter­minologies issues du monde de la réadaptation, de la médecine, mais aussi du mou­vement des personnes handicapées avec lequel les Sourds entretiennent encore aujourd’hui une relation ambiguë, fait naître toutes sortes de distinctions entre le Sourd et les autres « catégories » de sourds. Les devenus-sourds, les oralistes, les malentendants et les demi-sourds deviennent autant de facettes, avec celle de l’ « En­tendant », permettant aux « vrais » Sourds de se reconnaître. (Charles Gaucher« Les sourds comme figure de tensions identitaires »  - Anthropologie et Sociétés, vol. 29, n° 2, 2005- http://id.erudit.org/iderudit/011899ar)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

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